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Bruce Shneier : Les dangers des crypto monnaies et l’inutilité de la blockchain

#blog Dernière mise à jour : 04/08/2022

NDLR : Voici l’article mettant en garde à propos de l’utilisation des crypto-monnaies rédigé par Bruce Shneier sur son blog. Pour les kikous, Bruce Shneier, c’est le daron de la cryptographie. Il a écrit la bible sur le sujet : “Cryptographie appliquée”.

Page Wikipédia de Bruce Shneier : https://en.wikipedia.org/wiki/Bruce_Schneier

 

Plus tôt ce mois-ci, avec d’autres personnes nous avons écrit une lettre au Congrès qui dit concrètement que les crypto-monnaies sont un désastre total et les encourager à réglementer l’espace. Rien dans cette lettre n’est inhabituel et est en accord avec ce que j’ai écrit sur la blockchain en 2019. Matthew Green a écrit, pas vraiment une réfutation, mais une réponse générale à certaines des objections fallacieuses les plus courantes que les gens font aux systèmes publics de blockchain. Dedans, il fait quelques remarques générales:

1. Oui, les blockchains Proof of Work (preuve de travail) actuelles comme le Bitcoin sont très mauvaises pour l’environnement mais il existe d’autres modes comme le Proof of Stake (preuve d’enjeu)

2. Oui, une blockchain est un grand livre immuable qui rend impossible l’annulation de certaines transactions. Mais ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir un système de gouvernance au-dessus de la blockchain qui permettrait de faire des revirements.

3. Oui, le Bitcoin n’est pas évolutif et les frais sont trop élevés. Mais cela n’a rien d’inhérent à la technologie blockchain, c’est juste un ensemble de mauvais choix de conception que le bitcoin a fait.

4. Les systèmes de blockchain peuvent avoir un peu ou beaucoup de confidentialité, selon la façon dont ils sont conçus et mis en œuvre.

 

Il n’y a aucun élément sur cette liste avec lequel je suis en désaccord (on peut débattre sur si le Proof of Stake est réellement une amélioration. Je suis sceptique des systèmes qui mettent en valeur un système de gouvernance où celui qui a l’argent établit les règles. Et dans la mesure où ces solutions de mise à l’échelle fonctionnent, elles annulent la décentralisation que la blockchain prétend avoir). Mais je pense aussi que ces défenses passent largement à côté de la question. Pour moi, le problème n’est pas que les systèmes de blockchains peuvent être conçus de sorte à être un peu horrible qu’ils le sont actuellement. Le problème est qu’ils ne font rien de ce que leurs partisans prétendent qu’ils font. Pour certains aspects importants, ils ne sont pas sécurisés. Ils ne remplacent pas la confiance par du code d’ailleurs de nombreuses manières, ils sont bien moins fiables que les systèmes qui n’utilisent pas la blockchain. Ils ne sont pas décentralisés, et leur centralisation inévitable est dangereuse car elle est largement émergente et mal définie. Ils ont quand même fait confiance à des intermédiaires, souvent avec plus de pouvoir et moins de vision d’ensemble que les systèmes sans blockchain. Ils requièrent quand même de la gouvernance. Ils requièrent quand même de la régulation. Le problème avec la blockchain c’est que ce n’est une amélioration pour aucun système et empire les choses.

Dans notre lettre, nous avons écrit : “De par son design, la technologie blockchain est mal adaptée à presque tous les objectifs actuellement présentés comme une source actuelle ou potentielle d’utilité publique. Depuis sa création, cette technologie a été une solution à la recherche d’un problème et s’appuie désormais sur des concepts tels que l’inclusion financière et la transparence des données pour justifier son existence, alors que de bien meilleures solutions à ces problèmes sont déjà utilisées. Malgré plus de 13 ans de développement, elle présente de graves limitations et des défauts de conception qui excluent presque toutes les applications qui traitent des données publiques des clients et des transactions financières réglementées et ne constituent pas une amélioration par rapport aux solutions non-blockchain existantes.”

Green a répondu : “La technologie de blockchain publique permet beaucoup de choses stupides : les crypto-monnaies d’aujourd’hui peuvent être vénales, corrompues, surpromises. Mais la technologie de base n’est absolument pas inutile. D’ailleurs, je trouve qu’il se passe des choses assez excitantes dans ce domaine, même si la plupart d’entre elles sont plus éloignées de la réalité que ne veulent l’admettre leurs promoteurs.” J’attends toujours de voir ça. Plus précisément, je n’arrive pas à trouver une application blockchain dont la valeur ait quelque chose à voir avec la partie blockchain, qui ne serait pas rendue plus sûre, plus sécurisée, plus fiable et tout simplement meilleure en supprimant la partie blockchain. Je postule que personne n’ait déjà dit : “Voilà j’ai un problème. Tiens, la blockchain me semble être une bonne solution”. Dans tous les cas, l’ordre était le suivant: “J’ai une blockchain. Tiens, un problème auquel je peux l’appliquer.” Et dans aucun cas ça n’aide réellement.

 

Quelqu’un, s’il vous-plaît, me montre une application pour laquelle la blockchain est essentielle. C’est-à-dire un problème qui n’aurait pas pu être réglé sans la blockchain mais qui peut l’être à présent (et “les ransomwares ne pourraient pas exister parce que les criminels ne peuvent pas utiliser les réseaux financiers conventionnels et que les paiements en espèces ne sont pas possibles” ça ne compte pas).

Par exemple, Green se plaint que “les frais de marchands de cartes de crédit sont similaires ou ont même augmenté aux Etats-Unis depuis les années 90”. C’est vrai, mais ça n’a pas grand chose à voir avec l’inefficacité technologique ou les relations de confiance existantes dans l’industrie. C’est parce que pratiquement tous ceux qui le peuvent et qui sont attentifs obtiennent 1 % de remboursement sur leurs achats : en espèces, en miles de fidélisation ou en autres points d’affinité. Green a raison que c’est totalement injuste. Il s’agit d’une subvention régressive, “car ces frais sont intégrés dans le coût de la plupart des biens de consommation et pèsent donc lourdement sur les travailleurs pauvres (qui les paient même s’ils utilisent des espèces)”. Mais ça n’a rien à voir avec l’absence de blockchain, et ça n’aidera pas à le résoudre en ajoutant de la blockchain. C’est un problème de réglementation. A quelques exceptions près, les sociétés de cartes de crédit ont réussi à faire pression sur les commerçants pour qu’ils facturent les mêmes prix, que quelqu’un paie en espèces ou avec une carte de crédit. Les systèmes de paiement peer to peer comme PayPal, Venmo, MPesa et AliPay contournent tous ces frais de transaction élevés, mais aucun d’entre eux n’utilise la blockchain.

 

Voici mon argument de base : la blockchain ne fait rien pour résoudre les problèmes actuels des systèmes financiers (ou autres d’ailleurs). Ces problèmes sont intrinsèquement économiques et politiques, et n’ont rien à voir avec la technologie. Et, surtout, la technologie ne peut pas résoudre les problèmes économiques et politiques. Ce qui est une bonne chose puisque la blockchain ne fait qu’ajouter un tas de nouveaux problèmes et empire tous ces systèmes.

 

Green écrit : “Je n’ai aucun problème avec l’idée que les législateurs adoptent (intelligemment) des lois pour réglementer les crypto-monnaies. En effet, étant donné le niveau de folie et le nombre d’escroqueries pures et simples qui se produisent dans ce domaine, il est assez évident que notre cadre réglementaire actuel n’est pas à la hauteur de la tâche.” Mais quand on enlève la folie et les arnaques, que reste-t-il ?